Les fondements des enseignements du Bouddha – Buddhadasa Bhikkhu
Partie d’une conférence donnée par le Vénérable Ajahn
Buddhadasa au groupe d’Etudes du Dhamma de l’hôpital Siriraj de Bangkok en 1961.
Je vous demande donc de vous préparer à faire quelques
révisions pour bien saisir les points essentiels des
enseignements bouddhiques, de
façon à actualiser
les connaissances qui
sont le fondement d’une compréhension juste du Dhamma. J’insiste sur le
mot « fondement » parce qu’il y a des connaissances qui ne sont pas fondamentales,
de même qu’il y a des interprétations qui sont erronées, des interprétations
qui font peu à peu dévier l’enseignement jusqu’à ce que ce ne soit plus
l’enseignement du Bouddha. Ou, si c’est encore du bouddhisme, c’est une
excroissance qui ne fait que s’en éloigner de plus en plus.
Dire qu’une chose
est un fondement
des enseignements du
Bouddha n’est vrai
que si, premièrement, c’est un
principe dont le but est d’éradiquer dukkha [la souffrance, l’insatisfaction ou le mal-être] et, deuxièmement, s’il a une
logique que chacun peut vérifier par lui-même sans avoir à croire quelqu’un
d’autre. Ce sont les deux facteurs importants d’un « fondement ».
Le Bouddha ne voulait rien avoir à faire avec les choses qui
ne menaient pas à l’extinction de dukkha. Par exemple, le thème de la réincarnation. Les
gens lui posaient des questions comme : qu’est-ce qui
se réincarne ? Comment
se produit la
réincarnation ? Qu’est-ce qu’un
héritage karmique ? [Le kamma
est une action
intentionnelle accomplie par
le corps, la
parole ou l’esprit.] Mais toutes
ces questions ne mènent pas à l’extinction de la souffrance et, de ce fait,
ce ne
sont pas des
enseignements que le
Bouddha a donnés.
Par ailleurs, celui
qui pose ces questions n’a pas d’autre choix que de
croire aveuglément la réponse qui lui est faite puisque celui qui répond ne
peut produire de preuves et parlera seulement selon son sentiment ou le
souvenir de ce qu’il a appris. Ainsi, petit à petit, le sujet s’éloigne du
Dhamma jusqu’à n’avoir plus rien à faire avec lui et n’a plus rien à faire avec
l’extinction de la souffrance.
Par contre, si on abandonne ce genre de questions, on peut se
demander : « Dukkha existe-t-il ? » et
:« Comment peut-on arriver
à l’extinction de dukkha ? » A de telles questions, le Bouddha
a consenti à répondre et celui qui écoute la réponse est en mesure de voir par
lui-même la vérité de chacun des mots de sa réponse, sans avoir à y croire
aveuglément. Il peut y voir de plus en plus clair jusqu’à obtenir une parfaite
compréhension. Si l’on comprend suffisamment pour réussir à mettre un terme
définitif à dukkha, c’est la compréhension suprême. On sait alors que, même à
cet instant précis, il n’y a pas « quelqu’un » qui vit ; on voit sans le
moindre doute qu’il n’existe pas de « moi » ni rien qui appartienne à un « moi
». On voit que ce sentiment d’un « moi » et d’un « mien » n’apparaît que
lorsque l’on se laisse bêtement piéger par la nature trompeuse des expériences
sensorielles. Comme il n’existe pas de « personne » qui soit née, il n’y a
personne pour mourir et renaître. Ainsi toute
la question de la réincarnation est ridicule et n’a rien à voir avec le
bouddhisme.
Les enseignements bouddhiques ont pour but de nous faire
savoir qu’il n’y pas de « soi », qu’il n’y
a rien de « personnel », et que cette impression d’être une personne n’est que la compréhension erronée
d’un esprit ignorant. Il y a simplement un corps et un esprit, et tous deux ne
sont que des processus
naturels. Ils fonctionnent
comme des mécanismes
qui traitent et transforment des
données. S’ils le
font de manière
incorrecte, le résultat
est stupidité et incompréhension de
la réalité : on
croit qu’il existe
bien une « personne »,
un « moi » et des choses qui lui appartiennent. S’ils le
font correctement, cette vision erronée n’apparaît pas ; au contraire, il y a
une attention pleine
de sagesse (satipatthana) qui
distingue la vérité ; c’est la connaissance authentique
fondamentale et la
claire vision qu’il
n’y a pas
de « soi » ni rien qui appartienne à un « soi ».
De ce fait, il
s’ensuit que, dans le domaine
des enseignements bouddhiques,
il n’est pas question de
réincarnation ou quoi
que ce soit de ce
genre. Par contre, on pose
la question : « Dukkha existe-t-il ? » et «
Comment peut-on arriver
à l’extinction de dukkha ? »
Quand on connaît la cause racine
de dukkha, on est en mesure de
l’éradiquer. Or cette cause racine
est l’ignorance, la croyance erronée en un « moi » et un « mien ». Cette
question du « soi » est l’essence même des enseignements bouddhiques. C’est
l’unique chose qui doit être totalement éliminée. Par conséquent, c’est là que
se trouvent la connaissance, la compréhension et la pratique de tous les
enseignements bouddhiques sans exception.
Je vous prie donc d’accorder toute votre attention à ce qui va
suivre. Si l’on considère les principes
fondamentaux du Dhamma,
on constate qu’il
n’y en a pas
beaucoup. Dans un de ses discours, le Bouddha a déclaré très clairement qu’il
n’y en avait qu’une poignée. Tandis qu’il
marchait dans la
forêt, le Bouddha
a ramassé une
poignée de feuilles tombées des
arbres et a
demandé aux moines
qui l’accompagnaient s’il y
avait plus de feuilles dans ses mains ou sur les arbres
de la forêt. Tous ont répondu qu’il y en avait beaucoup plus sur les arbres,
que ce n’était même pas comparable. Imaginez la scène et voyez par vous-même la
vérité de cette
affirmation, combien les
feuilles de la
forêt sont beaucoup
plus nombreuses. Le Bouddha a dit alors que, de la même façon, les
choses qu’il avait découvertes et qu’il savait étaient innombrables, comme les
feuilles de la forêt, mais que ce qu’il est nécessaire de connaître, les choses
qu’il faut enseigner et pratiquer, ne sont pas plus nombreuses que les feuilles
qu’il tenait dans sa main.
Ce texte nous permet de conclure que, comparés
aux myriades de
choses qui se
trouvent dans le monde,
les principes fondamentaux
qu’il faut pratiquer
pour éradiquer dukkha ne sont qu’une poignée. Nous devons apprécier le
fait que cette poignée de principes ne représente pas une grande quantité et
qu’il n’est donc pas au-delà de nos capacités de les apprendre et de les
comprendre. C’est le premier point important que nous devons saisir pour poser
les fondations d’une compréhension correcte des enseignements bouddhiques.
Je fais allusion aux « enseignements bouddhiques » et je
voudrais que vous compreniez bien ces mots. De nos jours, ce que l’on nomme
ainsi est quelque chose de très nébuleux : c’est très vaste mais
sans définition précise. A l’époque du
Bouddha, on utilisait un autre
mot : le mot dhamma qui faisait
spécifiquement référence au dhamma qui met fin à dukkha, la souffrance. Le
dhamma du Bouddha s’appelait « le Dhamma du moine Gotama ». S’il s’agissait du
dhamma d’un autre groupe religieux, par exemple celui de Nigantha Nataputta
[contemporain du Bouddha et fondateur du
jaïnisme], on l’appelait « le Dhamma de Nigantha Nātaputta ». Ceux qui
appréciaient un certain dhamma
essayaient de l’étudier
jusqu’à le comprendre
et puis ils
pratiquaient en conséquence. On
appelait cela « dhamma » et c’est ce
que c’était : un
vrai dhamma pur,
sans pièges, sans aucune
de ces nombreuses
choses que l’on
a ensuite associées
à ce mot.
Mais aujourd’hui nous appelons
tous ces rajouts
« enseignements bouddhiques
». Du
fait de notre manque
de vigilance, les
soi-disant « enseignements bouddhiques »
sont devenus tellement nébuleux qu’ils incluent beaucoup
de choses totalement étrangères à la doctrine originelle.
Les véritables enseignements bouddhiques sont déjà, en
eux-mêmes, suffisamment abondants –
autant qu’il y a de feuilles dans la forêt – mais
ce qu’il faut étudier et pratiquer ne représente qu’une simple poignée et c’est
déjà bien assez. Mais, de nos jours, nous nous empressons d’inclure toutes ces
choses qui sont associées aux enseignements, comme l’histoire de la religion et
une psychologie développée. Prenez l’Abhidhamma [la troisième des trois «
corbeilles » des Ecritures bouddhiques,
écrite après la
mort du Bouddha] : certaines parties
sont devenues de la psychologie,
d’autres de la philosophie et il se développe sans cesse pour répondre aux
exigences de ces disciplines.
Et il y
a de nombreux
autres dérivés, de
sorte que les
choses qui ont associées
aux enseignements du Bouddha sont
devenues excessivement nombreuses.
Elles sont toutes regroupées sous le même terme et c’est ainsi que l’on
se retrouve avec un grand nombre d’« enseignements bouddhiques ».
Si nous ne savons pas sélectionner les points essentiels, nous
aurons l’impression que la tâche est trop lourde et nous ne pourrons pas choisir parmi les enseignements. Ce sera comme aller dans un magasin qui vend une grande
variété de produits et être complètement désorienté quant au choix à faire.
Nous suivrons alors simplement notre bon sens
– un peu de ceci, un peu de cela,
comme il
nous semblera. Mais,
dans la plupart
des cas, nous
choisirons ainsi les
choses qui correspondent à nos
faiblesses au lieu de nous laisser guider par une attention pleine de sagesse.
La vie spirituelle
devient alors une question de rites et de rituels, on « fait des mérites », on
apprend des textes par cœur, on se protège de ses peurs, etc. Mais il n’y a là
aucun contact avec les véritables enseignements bouddhiques. Apprenons donc à
distinguer les enseignements bouddhiques des choses qui ont simplement été associées
à eux. Et,
même dans les
vrais enseignements, nous
devons savoir comment distinguer les principes
fondamentaux, les points essentiels.
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