vendredi 30 août 2013

Les fondements des enseignements du Bouddha (1) - Buddhadasa Bhikkhu -

Les fondements des enseignements du Bouddha – Buddhadasa Bhikkhu

Partie d’une conférence donnée par le Vénérable Ajahn Buddhadasa au groupe d’Etudes du Dhamma de l’hôpital Siriraj de Bangkok en 1961.

Je vous demande donc de vous préparer à faire quelques révisions pour bien saisir les points essentiels  des  enseignements  bouddhiques,  de  façon  à  actualiser  les  connaissances  qui  sont le fondement d’une compréhension juste du Dhamma. J’insiste sur le mot « fondement » parce qu’il y a des connaissances qui ne sont pas fondamentales, de même qu’il y a des interprétations qui sont erronées, des interprétations qui font peu à peu dévier l’enseignement jusqu’à ce que ce ne soit plus l’enseignement du Bouddha. Ou, si c’est encore du bouddhisme, c’est une excroissance qui ne fait que s’en éloigner de plus en plus.
Dire  qu’une  chose  est  un  fondement  des  enseignements  du  Bouddha  n’est  vrai  que  si, premièrement, c’est un principe dont le but est d’éradiquer dukkha [la souffrance, l’insatisfaction  ou le mal-être] et, deuxièmement, s’il a une logique que chacun peut vérifier par lui-même sans avoir à croire quelqu’un d’autre. Ce sont les deux facteurs importants d’un « fondement ».

Le Bouddha ne voulait rien avoir à faire avec les choses qui ne menaient pas à l’extinction de dukkha. Par exemple, le thème de la réincarnation. Les  gens lui posaient des questions comme : qu’est-ce  qui  se  réincarne ?  Comment  se  produit  la  réincarnation ?  Qu’est-ce  qu’un  héritage karmique ?  [Le  kamma  est  une  action  intentionnelle  accomplie  par  le  corps,  la  parole  ou l’esprit.] Mais toutes ces questions ne mènent pas à l’extinction de la souffrance et, de ce fait, ce  ne  sont  pas  des  enseignements  que  le  Bouddha  a  donnés.  Par  ailleurs,  celui  qui  pose  ces questions n’a pas d’autre choix que de croire aveuglément la réponse qui lui est faite puisque celui qui répond ne peut produire de preuves et parlera seulement selon son sentiment ou le souvenir de ce qu’il a appris. Ainsi, petit à petit, le sujet s’éloigne du Dhamma jusqu’à n’avoir plus rien à faire avec lui et n’a plus rien à faire avec l’extinction de la souffrance.

Par contre, si on abandonne ce genre de questions, on peut se demander : « Dukkha existe-t-il ? »  et :« Comment  peut-on  arriver  à  l’extinction  de dukkha ? » A de telles questions, le Bouddha a consenti à répondre et celui qui écoute la réponse est en mesure de voir par lui-même la vérité de chacun des mots de sa réponse, sans avoir à y croire aveuglément. Il peut y voir de plus en plus clair jusqu’à obtenir une parfaite compréhension. Si l’on comprend suffisamment pour réussir à mettre un terme définitif à dukkha, c’est la compréhension suprême. On sait alors que, même à cet instant précis, il n’y a pas « quelqu’un » qui vit ; on voit sans le moindre doute qu’il n’existe pas de « moi » ni rien qui appartienne à un « moi ». On voit que ce sentiment d’un « moi » et d’un « mien » n’apparaît que lorsque l’on se laisse bêtement piéger par la nature trompeuse des expériences sensorielles. Comme il n’existe pas de « personne » qui soit née, il n’y a personne pour mourir et renaître. Ainsi toute la question de la réincarnation est ridicule et n’a rien à voir avec le bouddhisme.

Les enseignements bouddhiques ont pour but de nous faire savoir qu’il n’y pas de « soi », qu’il n’y  a rien de « personnel », et que cette impression d’être une  personne n’est que la compréhension erronée d’un esprit ignorant. Il y a simplement un corps et un esprit, et tous deux ne sont que  des  processus  naturels.  Ils  fonctionnent  comme  des  mécanismes  qui  traitent  et transforment  des  données.  S’ils  le  font  de  manière  incorrecte,  le  résultat  est  stupidité  et incompréhension  de  la  réalité :  on  croit  qu’il  existe  bien  une  « personne »,  un  « moi »  et des choses qui lui appartiennent. S’ils le font correctement, cette vision erronée n’apparaît pas ; au contraire,  il  y  a  une  attention  pleine  de  sagesse  (satipatthana)  qui  distingue  la  vérité ; c’est la connaissance  authentique  fondamentale  et  la  claire  vision  qu’il  n’y  a  pas  de  « soi »  ni rien qui appartienne à un « soi ».

De  ce  fait, il  s’ensuit que, dans le domaine  des  enseignements bouddhiques, il  n’est pas question  de  réincarnation  ou  quoi  que  ce  soit  de  ce  genre.  Par contre, on pose la  question  : « Dukkha existe-t-il ? »  et  « Comment  peut-on  arriver  à  l’extinction  de dukkha ? »  Quand  on connaît la cause racine de dukkha,  on est en mesure de l’éradiquer.  Or cette cause  racine  est l’ignorance, la croyance erronée en un « moi » et un « mien ». Cette question du « soi » est l’essence même des enseignements bouddhiques. C’est l’unique chose qui doit être totalement éliminée. Par conséquent, c’est là que se trouvent la connaissance, la compréhension et la pratique de tous les enseignements bouddhiques sans exception.

Je vous prie donc d’accorder toute votre attention à ce qui va suivre. Si l’on considère les  principes fondamentaux  du  Dhamma,  on  constate  qu’il  n’y  en  a  pas beaucoup. Dans un de ses discours, le Bouddha a déclaré très clairement qu’il n’y en avait qu’une poignée.  Tandis  qu’il  marchait  dans  la  forêt,  le  Bouddha  a  ramassé  une  poignée  de  feuilles tombées  des  arbres  et  a  demandé  aux  moines  qui  l’accompagnaient s’il  y  avait  plus  de feuilles dans ses mains ou sur les arbres de la forêt. Tous ont répondu qu’il y en avait beaucoup plus sur les arbres, que ce n’était même pas comparable. Imaginez la scène et voyez par vous-même  la  vérité  de  cette  affirmation,  combien  les  feuilles  de  la  forêt  sont  beaucoup  plus nombreuses. Le Bouddha a dit alors que, de la même façon, les choses qu’il avait découvertes et qu’il savait étaient innombrables, comme les feuilles de la forêt, mais que ce qu’il est nécessaire de connaître, les choses qu’il faut enseigner et pratiquer, ne sont pas plus nombreuses que les feuilles qu’il tenait dans sa main.

Ce  texte nous  permet de conclure  que, comparés  aux  myriades  de  choses  qui  se  trouvent dans  le  monde,  les  principes  fondamentaux  qu’il  faut  pratiquer  pour  éradiquer dukkha ne  sont qu’une poignée. Nous devons apprécier le fait que cette poignée de principes ne représente pas une grande quantité et qu’il n’est donc pas au-delà de nos capacités de les apprendre et de les comprendre. C’est le premier point important que nous devons saisir pour poser les fondations d’une compréhension correcte des enseignements bouddhiques.

Je fais allusion aux « enseignements bouddhiques » et je voudrais que vous compreniez bien ces mots. De nos jours, ce que l’on nomme ainsi est quelque chose de très nébuleux : c’est très vaste  mais  sans  définition  précise. A l’époque  du  Bouddha, on  utilisait un  autre  mot :  le mot dhamma qui faisait spécifiquement référence au dhamma qui met fin à dukkha, la souffrance. Le dhamma du Bouddha s’appelait « le Dhamma du moine Gotama ». S’il s’agissait du dhamma d’un autre groupe religieux, par exemple celui de Nigantha Nataputta [contemporain du Bouddha  et fondateur du jaïnisme], on l’appelait « le Dhamma de Nigantha Nātaputta ». Ceux qui appréciaient un  certain  dhamma  essayaient  de  l’étudier  jusqu’à  le  comprendre  et  puis  ils  pratiquaient  en conséquence.  On  appelait cela  « dhamma » et  c’est ce  que  c’était :  un  vrai  dhamma  pur,  sans pièges,  sans  aucune  de  ces  nombreuses  choses  que  l’on  a  ensuite  associées  à  ce  mot.  Mais aujourd’hui  nous  appelons  tous  ces  rajouts  « enseignements  bouddhiques ».  Du  fait  de  notre manque  de  vigilance,  les  soi-disant  « enseignements  bouddhiques »  sont  devenus  tellement nébuleux qu’ils incluent beaucoup de choses totalement étrangères à la doctrine originelle.

Les véritables enseignements bouddhiques sont déjà, en eux-mêmes, suffisamment abondants –  autant qu’il y a de feuilles dans la forêt  –  mais ce qu’il faut étudier et pratiquer ne représente qu’une simple poignée et c’est déjà bien assez. Mais, de nos jours, nous nous empressons d’inclure toutes ces choses qui sont associées aux enseignements, comme l’histoire de la religion et une psychologie développée. Prenez l’Abhidhamma [la troisième des trois « corbeilles » des Ecritures bouddhiques,  écrite  après  la  mort  du  Bouddha] : certaines  parties  sont devenues de  la psychologie, d’autres de la philosophie et il se développe sans cesse pour répondre aux exigences de  ces  disciplines.  Et  il  y  a  de  nombreux  autres  dérivés,  de  sorte  que  les  choses  qui  ont associées  aux enseignements du Bouddha  sont devenues  excessivement  nombreuses.  Elles sont toutes regroupées sous le même terme et c’est ainsi que l’on se retrouve avec un grand nombre d’« enseignements bouddhiques ».

Si nous ne savons pas sélectionner les points essentiels, nous aurons l’impression que la tâche est trop lourde et nous  ne pourrons pas choisir parmi les  enseignements. Ce sera comme  aller dans un magasin qui vend une grande variété de produits et être complètement désorienté quant au choix à faire. Nous suivrons alors simplement notre bon sens  –  un peu de ceci, un peu de cela, comme  il  nous  semblera.  Mais,  dans  la  plupart  des  cas,  nous  choisirons  ainsi  les  choses  qui correspondent à nos faiblesses au lieu de nous laisser guider par une attention pleine de sagesse.

La vie  spirituelle devient alors une question de rites et de rituels, on « fait des mérites », on apprend des textes par cœur, on se protège de ses peurs, etc. Mais il n’y a là aucun contact avec les véritables enseignements bouddhiques. Apprenons donc à distinguer les enseignements bouddhiques des choses qui ont simplement été  associées  à  eux.  Et,  même  dans  les  vrais  enseignements,  nous  devons  savoir  comment distinguer les principes fondamentaux, les points essentiels.



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