La relation au maître dans l'école Theravada
Les écoles bouddhiques du Mahayana, qu'elles relèvent du Zen
japonais ou des écoles tibétaines, sont connues pour accorder une
importance toute particulière à la relation qui s'établit entre un maître et
son disciple, notamment dans l'apprentissage de la méditation.
En revanche, on ignore souvent les caractéristiques du Theravada
dans ce domaine.
Ci-après, des extraits de textes qui éclaireront ce sujet.
1) Un « ami-du-bien », le maître-instructeur selon Buddhaghosa
extrait du Visuddhimagga (« le Chemin de la Pureté »)
2) « Soyez votre propre lumière » Jack Kornfield, extrait de « Dharma vivant »
3) Le Dhamma pour seul maître
1- Un «
ami-du-bien », le maître-instructeur, selon Buddhaghosa
Dans son oeuvre maîtresse, le « Visuddhimagga
», le commentateur theravadin du Ve siècle Buddhaghosa
évoque en détail comment un méditant doit s'engager dans l'apprentissage
d'une pratique.
Après avoir développé la discipline et s'y être affermi, il faut surmonter les
« dix empêchements » (dix situations, physiques et mentales, qui ne favorisent
pas une bonne pratique) et rechercher un « ami-du-bien » qu'on sollicitera
comme instructeur.
Ce dernier doit posséder les qualités suivantes :
« Il est aimable, respectable, estimable, parle et accepte le dialogue,
son discours est profond et il n'incite pas sans raison (ou à contretemps) ».
L'Ami-du-bien par excellence n'est autre que le Bouddha lui-même. Mais,
depuis sa Disparition complète (paranirvana),
il faut s'en remettre à l'un de ses disciples successifs. Idéalement, on cherchera un disciple ayant réalisé l'Eveil, l'état d'Arahant.
En l'absence d'un tel instructeur, on pourra s'adresser à n'importe quel «
homme ordinaire », à condition qu'il s'agisse d'une « personne humble, familière
d'un recueil et de son commentaire, car un tel instructeur maintient la
lignée, protège la tradition, garde la coutume, suit la pensée des instructeurs
et non la sienne ».
Ces instructeurs « ordinaires », de plus, doivent n'enseigner « que le chemin
qu'ils ont eux-mêmes parcouru.
Mais un érudit qui a fréquenté plusieurs instructeurs, clarifié ce qu'il a
appris et ce qu'on lui a répondu, enseigne la pratique et ce qui la favorise,
en examinant les Suttas et en
indiquant les raisons. Il fraye un large chemin à la manière d'un grand
éléphant.
Il faut apprendre la pratique auprès d'un ami-du-bien de cette espèce et lui
rendre les hommages petits et grands.
Quand un méditant s'en remet à un instructeur à qui il a demandé
l'apprentissage d'une pratique particulière « en montrant une parfaite aspiration
et une totale résolution », « il doit dire : « Je vous abandonne ma vie,
Seigneur. » S'il ne le faisait pas, il serait ingouvernable.
L'instructeur ne pourrait pas lui parler et l'instruire facilement, il ne
prendrait pas la responsabilité matérielle ni spirituelle d'un élève qui irait
comme il veut, où il veut, sans rien demander, et il ne lui proposerait pas
d'étudier les textes profonds.
Or le méditant qui ne bénéficie pas de cette double prise en charge ne peut pas
s'affermir dans l'enseignement, et il ne lui faut pas longtemps pour tomber
dans l'indiscipline et retourner à la vie laïque [ordinaire].
Mais l'élève qui s'abandonne mérite d'être guidé, car il ne suit pas son seul
désir. Il accepte facilement qu'on lui parle et reste à la disposition de
son instructeur. Celui-ci le prendra donc en charge matériellement et
spirituellement, et le méditant se développera, prospérera et s'épanouira dans
l'enseignement.
L'instructeur capable de connaître l'esprit d'autrui observera l'attitude mentale
de l'élève qui lui demande une pratique avec une parfaite aspiration et une
totale résolution, afin de déterminer son tempérament.
Un autre instructeur [qui n'est pas capable de connaître l'esprit d'autrui]
posera des questions : « De quel tempérament es-tu ? Quels défauts et quelles
qualités se manifestent le plus souvent chez toi ? Qu'aimes-tu considérer ?
Vers quelle pratique incline ton esprit, etc. ? » Puis il lui enseignera une
pratique correspondant à son tempérament.
Il l'instruira de trois façons. Si l'élève apprend facilement la pratique, il
lui fera réciter une ou deux fois le texte par coeur. Mais il instruira à
chaque visite celui qui réside sur place [là où demeure l'instructeur]. Et il
instruira de façon ni trop brève ni trop détaillée l'élève qui veut apprendre
la pratique avant de s'installer ailleurs.
Quand on lui explique une pratique, le [méditant] doit écouter et apprendre les
caractéristiques, c'est-à-dire s'assurer que tel point vient avant tel autre,
que telle chose constitue le sens, telle autre l'intention, et telle autre
encore une comparaison.
Le [méditant] apprend bien la pratique s'il saisit ces caractéristiques en
écoutant avec attention. Ce n'est que sur de telles bases qu'il pourra
atteindre des états excellents. »
2- Soyez
votre propre lumière
L'américain Jack Kornfield, célèbre instructeur
contemporain, a vécu de nombreuses années en Asie du sud-est, auprès de
plusieurs enseignants réputés. Dans son ouvrage « Dharma vivant », il présente dix maîtres de méditation theravadin du XXe siècle, thaïs et
birmans, qu'il a lui-même connus ou dont on lui a transmis les
instructions.
Il précise, dans un chapitre introductif, les relations qu'entretiennent
aujourd'hui, dans le Theravada, ces maîtres et leurs disciples, en
établissant une distinction entre deux types de lieux :
les « centres de méditation », essentiellement conçus pour les retraites
intensives, aussi bien pour les moines que pour les laïcs, et les «
monastères de méditation », réservés à de longs séjours de pratique, où il
convient de prendre les voeux de moines ou de nonnes [les voeux
monastiques, dans le bouddhisme, peuvent toujours être pris de façon
temporaire].
Dans les centres intensifs, l'entrevue [avec l'instructeur] a lieu tous
les deux jours, tous les jours ou même encore plus souvent. Le maître se
charge de donner des conseils au méditant en fonction de ce que celui-ci lui
dit de sa pratique. C'est là un aspect important de la pratique intensive.
En revanche, dans les monastères et les communautés d'étude du Dharma, les
entrevues sont plus rares mais les maîtres sont disponibles pour répondre aux
questions.
L'enseignement est plutôt délivré sous forme de leçons s'adressant à l'ensemble
du groupe, et, la pratique étant moins intensive, il semble que les entrevues
en tête-à-tête soient moins indispensables. On considère du reste, dans
certains monastères, qu'il est plus important que les méditants puissent
répondre eux-mêmes à leurs propres questions et gérer leurs propres doutes afin
d'observer le processus de la question et du doute dans leur esprit. Ils
sont ainsi réorientés sur leur propre expérience et apprennent à résoudre leurs
problèmes dans le cadre de leur pratique, sans s'attacher à une entrevue
quotidienne et aux conseils de leur maître. Les deux approches sont valables. Tout dépend du point de départ et du point où
l'on est arrivé.
Déjà, du temps du Bouddha, il existait de nombreuses techniques de méditation
et approches du développement spirituel. Et, parmi ses disciples, ceux qui
se sentaient davantage attirés par une technique enseignaient ceux qui
eux-mêmes avaient davantage envie de l'adopter.
Nous voyons bien qu'il n'y a pas de pratique préférable aux autres, mais
bien une qui paraît plus naturelle à chacun, mieux adaptée à ses besoins, et
qui lui apportera plus rapidement l'équilibre et l'harmonie qui sont les fruits
du développement spirituel. Si vous rencontrez un maître et qu'intuitivement, immédiatement, vous sentez
que vous aimeriez bénéficier de son enseignement, que vous vous sentez
fortement attaché à lui, cette méthode sera la bonne pour vous. Vous devez également savoir si vous préférez pratiquer sous la direction d'un
maître qui vous impose une discipline stricte ou si cet aspect n'est pas d'une
grande importance pour vous. »
Le maître peut faire appel à diverses méthodes et prescrit souvent un
exercice de méditation particulier afin de résoudre une difficulté éprouvée par
l'un de ses disciples :
Le rôle du maître consiste à équilibrer la pratique de son disciple [et aussi]
à nous faire remarquer nos derniers attachements. Au fur et à mesure que nous progressons et que notre esprit devient plus
subtil, les attachements quittent la forme extérieure des désirs grossiers des
sens pour prendre une forme plus raffinée, par exemple l'attachement à certains
états de bonheur, à la lumière ou à la paix qui découlent de la méditation.
Tout cela, lorsque nous verrons notre maître, apparaîtra clairement. Il verra
que nous sommes bloqués, à quoi nous sommes attachés, et nous aidera à nous
détacher, à nous laisser prendre par le processus global de détachement qui
mène à la libération. Dans tous les cas, cependant, c'est le méditant lui-même qui réalise le
travail. Le maître ne fait que l'aider à rester sur la bonne voie et à rétablir
l'équilibre.
Utilisez l'un de ces outils ou tous, mais ne vous laissez pas aller à prendre
l'outil ou le maître pour la vérité du Bouddha. Pratiquez avec zèle et
abandonnez tous vos liens, et n'essayez rien d'autre que d'atteindre la liberté
par vous-même. Au fur et à mesure que vous progresserez, c'est votre pratique
qui vous tiendra lieu de référence.
Avant de mourir, le Bouddha a demandé à ses disciples de suivre le Dhamma, et
non tel ou tel maître ou secte. Il ne plaça personne au-dessus de la
communauté des moines et des nonnes. Le Dhamma seul devait leur servir de guide. C'est par la pratique que nous
parvenons à la vérité du Dhamma. Le Bouddha a encouragé les hommes de ces mots
: "Soyez votre propre lumière". C'est de cette pratique que viendra
la libération.
- Le
Dhamma pour seul maître -
une différence entre les bouddhistes de la tradition Theravada et ceux des
autres traditions est que les premiers ont été invités dès le commencement
à traiter la Doctrine (dhamma) comme leur guide.
À ce propos, le conseil
du Bouddha dans le Mahaparinibbana
sutta a une valeur
significative.
Quelques minutes avant son dernier souffle, le Bouddha dit à l’ Ayasmanta Ananda :
« (...) Il est possible que cette idée vienne en vous :
"La parole du maître est une chose du passé. Nous n’avons plus de maître."
O Ananda, cela ne doit pas être vu ainsi. Il y a une doctrine enseignée et une
discipline établie.
Après mon départ, cette Doctrine et cette Discipline
deviennent votre maître »
À ce propos, nous pouvons également citer le sermon intitulé Mahapadesa
Sutta dans lequel il est déconseillé d’accepter la parole d’un
bhikkhu même très savant et vertueux sans juxtaposer son explication aux
sermons et à la Discipline.
Nous lisons dans ce texte : « Supposons qu’un bhikkhu déclare :
"C’est en face du Bienheureux, ô frère, que je l’ai entendu. C’est en face
de lui que je l’ai appris : c’est cela la Doctrine, c’est cela la Discipline,
c’est cela l’enseignement du maître."
Or, les paroles de ce bhikkhu ne doivent être ni accueillies ni rejetées. Sans
les accueillir, sans les rejeter, mais en ayant étudié soigneusement les
syllabes et les mots de ces paroles, il faut les confronter aux Sermons (Suttas),
il faut les comparer à la Discipline.
Ainsi, après les avoir confrontées aux Sermons et après les avoir comparées à
la Discipline, si elles s’avèrent ne pas être en conformité avec les
sermons ni en accord avec la Discipline, vous devez arriver à cette conclusion
: "Ce n’est sûrement pas l’enseignement du Bienheureux qui est
l’Arahant, parfaitement éveillé. Son enseignement a été sûrement mal compris
par ce bhikkhu." [En concluant ainsi] vous devez rejeter les paroles
de ce bhikkhu.
« [...] Supposons qu’un bhikkhu déclare : "Dans telle ou telle résidence
monastique se trouve un bhikkhu solitaire qui a beaucoup appris, à qui la
tradition a été transmise, qui est bien versé dans la Doctrine, qui est bien
versé dans la Discipline, qui est bien versé dans les Sommaires. C’est en face
de lui, ô frère, que je l’ai entendu. C’est en face de lui que je l’ai appris :
c’est cela la Doctrine, c’est cela la Discipline, c’est cela l’Enseignement du
maître." Or, les paroles de ce bhikkhu ne doivent être ni accueillies ni
rejetées. Sans les accueillir, sans les rejeter, mais en ayant étudié soigneusement
les syllabes et les mots de ces paroles, il faut les confronter aux sermons
(sutta), il faut les comparer à la Discipline. Ainsi, après les avoir
confrontées aux sermons et après les avoir comparées à la Discipline, si elles
s’avèrent ne pas être en conformité avec les Sermons ni en accord avec la
Discipline, vous devez arriver à cette conclusion : "Ce n’est sûrement pas
l’Enseignement du Bienheureux qui est l’Arahant, parfaitement éveillé. Son
Enseignement a été sûrement mal compris par ce bhikkhu." [En concluant
ainsi] vous devez rejeter les paroles de ce bhikkhu. (...) »