Le 1er obstacle à la méditation – kamachanda, le
désir des sens – Ajahn Brahm(3)
Vous ne pouvez décider d’abandonner les 5 sens et le corps par
un simple effort de volonté. En méditation, cet abandon s’effectue petit à
petit. On commence par choisir un endroit confortable et tranquille pour
méditer. En fermant les yeux, vous ne sentirez pas grand-chose de votre corps.
De même qu’il faut plusieurs minutes pour que la vision s’adapte quand on passe
d’une pièce éclairée à l’obscurité, de même il faut plusieurs minutes pour être
réceptif aux sensations corporelles. Ainsi, après avoir fermé les yeux, il faut
plusieurs minutes pour régler définitivement la posture adoptée par le corps.
Céder ainsi à kamachanda par l’attention au corps permet de le
dominer un certain temps. Votre corps se sentira à l’aise et les 5 sens seront
satisfaits, mais cela ne durera pas. Vous devez utiliser cette liberté initiale
pour placer l’esprit hors de portée des 5 sens. Vous commencez par la vigilance
à l’instant présent. Notre passé et notre futur sont remplis, en majeure partie
si ce n’est totalement, d’objets liés aux 5 sens. Nos souvenirs sont faits de
sensations physiques, saveurs, sons, odeurs ou objets visibles. De la même
façon, nos projets portent sur les 5 sens. En réalisant la vigilance à
l’instant présent, on se débarrasse de kamachanda pour une bonne part.
Dans le stade suivant de la méditation, dans la vigilance
silencieuse à l’instant présent, on abandonne toute pensée. Le Bouddha a
identifié un aspect de kamachanda qui est appelé kamavitakka, ce qui signifie « penser au monde des 5
sens ». Pour le débutant, sa forme la plus évidente est le fantasme
sexuel. On peut passer de nombreuses heures, surtout lors d’une longue
retraite, avec ce type de kamavitakka
. Cet obstacle au progrès en méditation est transcendé en prenant conscience,
par la vue pénétrante ou la conviction, qu’être totalement libre des 5 sens (
par jhana) est bien plus extatique et plus profond que la meilleure expérience
sexuelle possible.
Un moine ou une nonne abandonnent leur sexualité non par
crainte ou par refoulement, mais parce qu’ils prennent conscience de quelque
chose de supérieur à cela. Même les pensées d’après-déjeuner relèvent de
kamavitakka, elles perturbent le silence. Et peu de méditants se rendent compte
que de noter les sensations corporelles, comme de penser en soi-même
« inspirer le souffle », « entendre un son » ou
« ressentir une douleur perçante », fait aussi partie de kamavitakka
et est un obstacle à la progression.
Dans la vigilance silencieuse à l’instant présent, c’est comme
si le monde des 5 sens était à présent confiné dans une cage, incapable de
vagabonder ou de faire des bêtises. Ensuite, pour abandonner complètement les 5
sens et le corps avec eux, on choisit de concentrer sa vigilance sur une petite
partie du monde des 5 sens à l’exclusion de tout le reste. On se concentre sur
la sensation physique du souffle, en ignorant les autres sensations
corporelles, les sons, etc.. Le souffle devient la passerelle entre le monde
des 5 sens et le monde de l’esprit.
Quand vous aurez réussi la vigilance pleine et soutenue sur le
souffle, vous remarquerez l’absence de tout son. On ne peut jamais reconnaître
l’instant où l’ouie cesse, parce que par nature elle s’éteint graduellement.
Une telle extinction, comme la mort physique est un processus et non pas un événement. Vous
vous rendrez compte en général, quand vous passerez votre méditation en revue en
fin de session, que votre esprit a été indifférent à tout bruit pendant un
certain temps. Vous remarquerez aussi que votre corps avait disparu, que vous
ne pouviez plus sentir vos mains ni recevoir de message de vos jambes. Tout ce
que vous connaissiez se limitait à la sensation du souffle.
Certains méditants commencent à s’inquiéter quand ils ne sentent plus certaines parties de leur corps. Cela témoigne de leur fort
attachement au corps. C’est kamachanda à l’œuvre, qui vient bloquer les progrès
en méditation. En général, on finit par se familiariser avec cette disparition
des sensations corporelles et l’on se réjouit de cette merveilleuse
tranquillité qui les dépasse. Ce sont la libération et la joie nées du
lâcher-prise qui encouragent de façon répétée à abandonner les attachements.
La sensation d’être « désincarné » que l’on ressent
parfois est une étape normale, et un cas pathologique de la méditation, une
fois obtenu un certain détachement du corps. Ajahn Brahm évoque parfois ce
sujet dans ses causeries sur le ton de la plaisanterie : « mais où
est passé mon corps ? ». Le neurologue peut bien parler à ce propos
de « perte de proprioception »
ou de désafférentation, il reste
prisonnier de l’idée fausse qu’il y a un « soi », et que celui-ci
devrait « normalement » s’approprier les sensations du corps.
Le
bouddhisme cherche plutôt la délivrance.
Bientôt le souffle disparaît, et le grandiose nimitta occupe votre esprit. Ce n’est
qu’à ce stade que vous avez abandonné complètement kamachanda, votre
implication dans le monde des 5 sens. Car dès que le nimitta est établi, les 5 sens sont éteints, et le corps n’est plus
accessible. Le premier et principal empêchement a été surmonté, et ce n’est que
du bonheur. Vous êtes à la porte des jhanas. Voilà la méthode pour abandonner
kamachanda petit à petit. C’est pour cela que l’on enseigne les stades de
méditation de cette manière.
Comme il est dit dans les Jatakas (
Ja,4,173) : « plus on abandonne le monde des 5 sens, plus on ressent
la félicité ; pour ressentir une béatitude complète, abandonnez complètement
le monde des 5 sens ».
note. Quand les 5 sens disparaissent, le corps disparaît aussi. Il disparaît dans le sens où il ne fait plus l’objet d’une observation, il n’apparaît plus à la conscience.
supa. cela est réalisé notamment par l’exercice Anuloma Viloma Shiva ou l’exercice Soham.